8 juin 2009 : l’Europe à la croisée des chemins

Les résultats d’hier semblent être une sorte de triomphe pour celui qui avait fait de ce scrutin un rendez vous clé pour son parti, pour sa présidence, pour sa politique. Nicolas Sarkozy a très tôt, et tout à fait volontairement, « nationalisé » le scrutin européen. Il est monté au créneau, lui devant, les autres derrière en rang serrés, derrière la bannière de la Majorité présidentielle (ah bon ? celle du président de l’Europe ?) avec pour seule mission de gagner. Gagner si possible en se débarrassant de Bayrou, l’ennemi juré. Gagner si possible en prenant une revanche cuisante sur le Parti socialiste, qui l’avait humilié il y a cinq ans. Gagner en propulsant dans les pieds de ses concurrents un adversaire dont il n’a rien à craindre.

Sarkozy, ces dernières semaines, s’était montré persuadé que, dans une élection à un tour, il pouvait tout exploser. Le pari aura été remporté et il aura passé une de ses meilleures soirées électorales. Il légitimise sa politique intérieure, sa politique européenne et sa politique internationale. Il retrouve à nouveau derrière lui un parti conquis, convaincu et dévoué et fait à nouveau taire les quelques voix qui osaient se distinguer à l’UMP. 2012 s’annonce pour lui plus que jamais comme un grand boulevard.

Face à cette manœuvre, il n’était pas idiot de lancer sa campagne sur la vive dénonciation de la politique du président de la République actuel. Et d’ailleurs, ça a plutôt bien réussi au MoDem. Le piège était d’en rester là, d’apparaître comme en décalage avec les enjeux de l’élection et de donner l’impression de n’avoir rien à proposer. Bayrou l’avait pourtant bien annoncé : on avait retenu les leçons de 2007, on ne referait pas la même erreur.

Bon, pas tout à fait. On a bien distribué des programmes, mais ça sert à quoi si les médias s’accrochent au moindre morceau antisarko et oublient le reste ? Pour désamorcer ce piège, il fallait à partir de ce moment-là (environ deux semaines avant le scrutin) matraquer notre programme, parler de notre conception de l’Europe, nous opposer à Sarkozy sur le terrain européen. Il revendique sa présidence française ? Plutôt que de lui dénier son succès, il fallait traiter du fond et montrer en quoi elle est à l’antipode de l’Europe des peuples.

Europe des États ou Europe des peuples ?

Car c’est bien cela qui se jouait dans cette élection européenne : quel modèle d’Europe voulons-nous ? Avec la victoire de la vision Sarkozy-Merkel, l’UE à 27 fait marche arrière vers l’Europe intergouvernementale de ses débuts. Sarkozy-Merkel, c’est l’Europe des États, où les États décident de tout dans un huis clos généralisé, où la Commission n’est qu’un secrétaire général du Conseil et le Parlement une bande de faire-valoirs. La présidence française, c’est ça : une Europe forte, mais une Europe à huis clos.

Tout opposé était le projet démocrate. Son originalité était qu’il reconnaissait la nécessité de l’Europe, qu’il lui demandait même d’aller plus vite désormais, mais que cette montée en puissance ne pouvait se faire qu’à la condition qu’elle soit accompagnée d’un progrès démocratique de même ampleur. C’était le seul parti dans cette campagne à avoir une position aussi claire et tranchée. Hélas, nous n’avons pas assez martelé cet argument. Il était incarné dans notre slogan de campagne, mais un slogan qui nécessite une explication de texte n’est pas un bon slogan.

Un manque de lisibilité du projet démocrate

Cette analyse rejoint finalement assez justement les critiques qui nous sont portées : le MoDem s’opposerait mais n’aurait rien à proposer. Nous savons bien qu’au contraire c’est parce que nous avons autre chose à proposer que nous nous opposons avec autant de force à la politique actuellement suivie en France et en Europe. Mais nous avons un problème de lisibilité. Le dessin en creux d’Abus de pouvoir est trop subtil pour les journalistes, il faut expliciter et matraquer notre projet alternatif.

J’y reviendrai sans doute plus longuement dans un autre billet, mais la subtilité et la complexité ne sont pas des choses qui passent facilement à la télévision ou dans les meetings. C’est sans doute le message à retenir de cette défaite électorale : sans rien céder sur les valeurs, il nous faut désormais passer de l’exégèse subtile à la communication inspirée. Arrêter de faire du Benoît XVI et passer en mode Jean-Paul II. Nous avons vocation à apporter un message d’espérance.

Des raisons de positiver

Cependant, Nicolas Sarkozy ferait bien de ne pas se réjouir trop vite. Au-delà des évidences, je constate que les électeurs ont choisi de récuser la bipolarisation en orientant massivement leurs voix vers une formation tierce, qui sans tomber dans l’extrémisme porte un message de renouvellement radical et des valeurs fortes. Au fond, le même phénomène qui avait porté Bayrou à 19% en 2007 a porté Europe Écologie à 16% en 2009.

Cette analyse est d’ailleurs corroborée par le phénomène de vases communicants qui a été observé entre les dynamiques de campagne du MoDem et des Verts. Ce comportement était d’autant plus naturel que, comme le notait Daniel Cohn-Bendit dès hier soir, il y avait une très forte compatibilité entre les programmes des deux mouvements : urgence écologique, exigence sociale et impératif démocratique.

Organiser tout de suite le rassemblement au Parlement européen

Cette convergence me semble le socle sur lequel nous devons construire en Europe une majorité alternative, comme nous n’avons cessé de le proposer (en vain) dans notre campagne. Il faut un large rassemblement de tous ceux qui souhaitent une alternative à Barroso, et une nomination politique.

Car l’Europe ne peut pas continuer sur la voie ultra-libérale de ces cinq dernières années. L’intégrisme dérégulatoire ne peut que nous amener dans une impasse. Et surtout, l’Europe a raté la crise. Celle-ci était une occasion inespérée de coordonner les politiques économiques et de faire des avancées institutionnelles. La Commission a été aux abonnés absents. L’activisme de Nicolas Sarkozy a montré ses limites. La crise montre que l’Europe des États ne peut pas agir comme il faudrait : au niveau des 27 et à l’échelle utile.

Cette impuissance est inquiétante pour le monde post-crise. Les Etats-Unis et la Chine semblent se diriger vers un deal monétaire et financier. Ils sont en train de mettre en place un affaiblissement contrôlé du dollar, qui permettra à Washington de doper ses exportations à Pékin de se défaire de sa dépendance au dollar. Ni Bruxelles, ni Berlin, ni Paris n’y pourront quelque chose sans un clair leadership européen. Si nous poursuivons sur la ligne actuelle, l’euro risque de se réévaluer durablement, taxant la compétitivité des exportations européennes.

La large victoire de la droite à travers l’Europe ne nous facilitera pas la chose. Il est vrai que les partis conservateurs ont contribué à brouiller les repères de l’électorat en adoptant des remèdes traditionnellement perçus comme de gauche, comme la nationalisation des banques, la régulation financière et la moralisation des marchés. De leur côté, les socialistes européens ont aussi pâti de leurs divisions. Même s’ils ont critiqué le président sortant de la Commission européenne pour sa réaction tardive à la crise économique, ils ont été incapables de désigner un candidat alternatif pour le remplacer. Plusieurs dirigeants socialistes ont même ouvertement soutenu José Manuel Barroso !

Raison de plus pour s’y prendre dès à présent. Libéraux, Démocrates, Verts, Socialistes doivent de toute urgence se mobiliser, se rencontrer et proposer un candidat commun à la présidence de la Commission. Si possible un candidat capable de prendre aussi des voix chez les Chrétiens-Démocrates.

La candidature de Guy Verhofstadt, que nous avions proposée, me paraît la meilleure. Il a dirigé une coalition large libéraux-socialistes-écologistes pendant un temps record à la tête d’un pays binational et instable politiquement. Il est un européen convaincu. Il est un libéral modéré et l’un des rares à être déjà revenu de ses illusions – il a déjà fait la mise à jour que les socialistes français n’ont toujours pas su faire.

Plus que jamais, la démocratie européenne a besoin de renforts. L’Europe est à la croisée des chemins, il faudra choisir le bon.

Espoir dEurope
Espoir d’Europe

Crédit photo : © Karim-Pierre Maalej 2008.

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3 réponses à 8 juin 2009 : l’Europe à la croisée des chemins

  1. [Blocked by CFC] Guy Robert dit :

    Merci pour cette analyse dans laquelle je me reconnais 100%.

  2. [Blocked by CFC] florent dit :

    Oui, excellent article.

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